VICTORIA, LA CLAQUE CINEMA MADE IN BERLIN
Article de VICTORIA MAS pour JUSTE MAGAZINE
La projection est sur le point de débuter. Présent pour la première parisienne, le réalisateur Sebastien Schipper prévient d’emblée la salle pleine : “Oubliez tout ce que vous avez pu entendre ou lire sur ce film.”
Avant même d’être sorti, Victoria fait déjà parler – beaucoup. À la Berlinale 2015, où le film est primé deux fois, Darren Aronofsky déclare que “ce film renversera le monde”. Selon les dires, Victoria aurait été tourné en un seul plan séquence.
Comme Birdman, certains rappelleront.
Birdman étaient un ‘faux’ plan-séquence, habilement filmé et monté pour en donner l’impression, d’autres rétorqueront.
Un plan séquence de 2h14? Impossible, les premiers contesteront.
Pourtant si. En une seule prise, le film retrace la virée inattendue de plusieurs jeunes dans les rues berlinoises, de la fin de la nuit jusqu’à l’aube.
La caméra est à taille humaine, elle endosse le corps d’un témoin actif qui respire et vibre avec les personnages qu’elle accompagne du début à la fin. Elle les côtoie, s’assied avec eux, les écoute, court à leurs côtés, et ainsi fait du spectateur lui aussi un participant. La narration en temps réel ne nous laisse pas le luxe de choisir : nous sommes impliqués, pleinement, jusqu’au bout et sans cesse à bout de souffle.
À aucun moment l’objectif ne fait défaut et c’est sans doute la première claque qu’envoie ce film : une maîtrise cinématographique impressionante malgré l’évidence d’une difficulté technique considérable.
L’attention que l’on pourrait porter à ce qui passe en coulisses du tournage s’efface néanmoins au profit de ce que l’on découvre à l’écran.
Le film-séquence s’ouvre sur la piste de danse d’une petite boîte de nuit souterraine. Parmi les corps qu’on distingue, Victoria danse, seule. Ce n’est sans doute pas sa première sortie solitaire – ni sa première tentative de connecter avec quelqu’un sans succès (ici, le serveur). D’un dernier verre cul-sec elle essuie sa nouvelle déception et se résigne à rentrer. La nuit est déjà avancée. Son chemin croise alors celui d’un groupe d’amis que la boîte vient de recaler.
“Comment une jeune et jolie nana peut-elle avoir envie de suivre quatre mecs autant grisés que clairement paumés?” En sortie de salle, des spectateurs commentent sur la crédibilité de la situation. Aussi improbable que cela puisse paraître, c’est justement ce choix qui caractérise le personnage principal : en rejoignant le charismatique Sonne et ses amis marginaux, Victoria révèle partager avec eux la même solitude désabusée.
La première partie du film s’attache à suivre ces personnages esseulés et tristement joyeux dans les rues endormies de la ville. Cela ressemble à un film sur la jeunesse où la mélancolie, l’insouciance et le romantisme nocturne se côtoient dans des scènes touchantes au temps suspendu (la montée interdite sur le toit d’un immeuble notamment, ou encore la démonstration de piano de Victoria.)
Victoria et Sonne se comprennent malgré leur anglais approximatif (elle est espagnole, lui allemand) ; ils se regardent, plaisantent, tombent amoureux.
Le jour se lève doucement et le film bascule. Les corps fatigués par la nuit blanche se retrouvent brusquement secoués ; s’ils erraient sans but précis jusqu’ici, on leur ordonne désormais une destination sous la menace ; les bouteilles de bière sont remplacées par de la drogue dure imposée. Redevables auprès du chef d’une bande mafieuse, ils n’ont plus le choix : ils saisissent les armes qu’on leur tend et partent braquer une banque. C’est le point de non retour.
Malgré le suspense et la course-poursuite haletante qui font osciller le film entre thriller et film policier, Victoria est avant tout le portrait puissant et époustouflant d’un personnage féminin comme il est rare d’en voir à l’écran. Laia Costa, révélation sublime du film, incarne avec grâce un personnage dont la force de caractère étonne et transporte les autres personnages et le spectateur. À mesure que la situation s’aggrave, à mesure que les espoirs tombent et que les barrières se resserrent sur eux, l’héroïne s’élève avec une détermination et une résilience émouvantes. Victoria n’est pas seulement le titre du film ou son personnage principal – elle en est le tuteur.
Les lumières se rallument et la salle est silencieuse. Quelques secondes sont nécessaires pour reprendre nos esprits. Puis une vague d’applaudissements retentit et étoffe l’endroit. Cela ne fait pas de doute : Victoria a ému et convaincu.
Article de VICTORIA MAS pour JUSTE MAGAZINE
De Sebastian Schipper
Avec Laia Costa et Frederick Lau
Sortie le 1er Juillet
Durée 2h14
Distribution Jour2fête et Version Originale/Condor
GRAND PRIX DE LA 7ème EDITION DU FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM POLICIER DE BEAUNE.(COTE D’OR)