Interview: GRAND BAIN

Grand Bain est le fruit de la rencontre il y a 2 ans du producteur/musicien français Jules de Gasperis et de la chanteuse californienne Erica Von Trapp.

Jules : C’est vrai, en fait on s’est rencontré en 2013 pour un précédent projet _ un truc plus new wave qui s’appelait H4R3M (prononcez « harem »). On était à la recherche d’une chanteuse native anglo-saxonne avec mon ancien partenaire, et Erica s’est pointé dans notre studio pour auditionner. On s’est super bien entendu, on a discuté pendant une heure avant même de commencer à jouer de la musique. Et musicalement, ça l’a fait aussi. Puis H4R3M a périclité, sauf qu’Erica et moi on est devenu un couple et on s’est vraiment rapproché (aujourd’hui on est marié !), et on a continué à créer ensemble.

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Pourquoi « Grand Bain » ?

Donc suite à ça on a commencé à écrire pas mal de chansons ensemble, parfois sur des mélodies, parfois sur des textes d’Erica dans sa langue natale en anglais, et il fallait qu’on leur trouve un débouché. Du coup on s’est mis en mode « recherche de nom de groupe », et on savait qu’on voulait quelque chose qui ait un rapport avec l’eau, l’océan – car ça nous inspire beaucoup tous les deux. Et par hasard on était en train de faire des longueurs dans une piscine municipale (un peu moins glamour que la mer), quand on a vu le panneau « Grand Bain » qui délimitait les bassins. On s’est juste dit : ça c’est cool, ça sonne super et ça peut définir le groupe !

Quel est votre parcours musical respectif? Y a t il un avant et un après Grand Bain

Erica : personnellement, j’ai grandi en étudiant le piano, en jouant dans des comédies musicales, et je chantais beaucoup tous les jours, pour laisser sortir mes émotions, d’une manière cathartique. J’avais des influences plus « soul » à l’époque, et je chantais des mélodies qui pouvaient fonctionner par elles-mêmes, a capella. J’ai toujours aimé la musique arrangée aussi, plus dense, et elle me touchait beaucoup (des classiques comme Radiohead, Portishead), mais je ne faisais pas moi-même d’arrangements à l’époque. C’est en arrivant en Europe un peu plus tard, et en m’inspirant de musiques plus « électro » que les choses ont commencé à changer : maintenant je me sens plus capable de matérialiser les idées que j’ai en tête, et les enregistrer – c’est plus actif.

Jules : j’ai toujours été musicien, mon père m’a transmis ça et il m’a formé depuis tout petit. J’ai joué dans plein de projets, à l’origine des groupes de rock, puis de l’électro, de la pop etc. Mais pour moi ce qui a changé depuis le début de Grand Bain c’est surtout que c’est la première fois que j’ai vraiment l’impression de tisser avec le bon fil – c’est un projet qui part d’une relation humaine très solide, durable, et pour la première fois je me dis que j’ai envie de défendre ça jusqu’au bout, sans vouloir forcer les choses. Tout simplement faire de la musique qui nous plaît, la faire vivre et la partager, en sachant ce qu’on a envie de faire, et le travail qu’on doit fournir pour gravir les échelons.

Les racines de Grand Bain sont donc « 50% français / 50% californien »…

Jules : Ben « 50% français, 50% californien » c’est juste la somme de nos pays d’origine, mais on pense que les choses sont un peu différentes…

Erica a décidé de quitter la Californie en 2010 parce qu’elle se sentait aliénée et en décalage total avec la société qui l’entourait. Ce n’était pas évident de quitter tout son environnement natal, et son pays respectif, ses amis, et donc je ne suis pas si sûr qu’elle soit complètement « américaine » dans l’attitude. Et moi j’ai grandi à Paris, sur le papier je suis parisien, mais j’ai grandi la tête plongée dans la musique anglo-saxonne (par mon père), et je n’ai jamais écouté de chanson française. En 2011-2012, je suis parti vivre à Hong Kong suite à mes études, et ça a tout changé pour moi. Aujourd’hui je ne me sens pas plus français que Hong-Kongais, que New Yorkais ou Berlinois… Mais bon même malgré ça on peut sentir les influences de nos deux pays, c’est vrai. (Et les deux pays sont d’ailleurs si différents !)

Vous comptez déménager à Los Angeles prochainement, alors pourquoi ?

Erica : C’est toujours bien de changer d’environnement, et comme Jules a grandi à Paris je comprends qu’il ait envie de partir, de changer de scène. En plus, il y a une vraie curiosité aux Etats-Unis par rapport à la musique, ce qui se fait de nouveau, et j’ai du mal à retrouver ça à Paris. On est un pays (les US) qui a une fondation et une culture musicale très solide. Il y a beaucoup d’espace, on n’a parfois rien à faire, du coup il y a beaucoup plus de gens qui veulent juste « apprendre la guitare », ou chanter, même dans les églises, etc. L’histoire de la musique aux États-Unis c’est un peu comme la gastronomie française j’imagine. Et en plus à Los Angeles, il y a un grand mouvement récent pour des projets plus créatifs, et avant-garde (avant New York était plus cool, mais le coût de la vie est devenu trop cher donc ça s’est déplacé). On y trouve beaucoup d’artistes, d’innovateurs. En si en plus on rajoute le climat, et le fait que ce soit en Californie au bord de la mer, ça fait pas mal de raisons pour nous d’y aller.

Jules : Oui, et surtout, je pense que notre musique s’adresse plutôt aux anglophones finalement : c’est pas si naturel de chanter en anglais ici quand tu as vraiment des choses à dire. La plupart des groupes qui ont l’air de marcher en France et qui chantent en anglais ont l’air d’utiliser ça comme un attribut, pour donner un style, et je ne les trouve pas vraiment habités par leurs paroles, ça nous manque vraiment…

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Jusqu’à présent, vous aviez votre studio à Paris où vous pouviez enregistrer vos chansons. Comment va changer votre manière de faire de la musique à LA ?

On a comme projet de créer notre propre lieu de travail en Californie. Comme Jules bosse en tant que mixeur et arrangeur pour d’autres projets, on va installer un petit studio qui nous servira à la fois pour le travail de GRAND BAIN et pour d’autres groupes.
Erica : C’est pas toujours facile de trouver la bonne inspiration, la créativité face à la « page blanche », et quand elle arrive il faut savoir l’accueillir. Pour l’instant, même si on la chance énorme d’avoir un studio à disposition en plein Paris, ça signifie quand même prendre le métro, avec au moins un changement, pour arriver au lieu de travail et pouvoir enregistrer quelque chose ; alors que si on installe ça directement chez nous ça permettra d’enregistrer nos idées à n’importe quelle heure, n’importe quand !

Comment fonctionnez-vous en tant que duo ?

Il n’y a pas de règles. Mais bien sûr, il y a certaines habitudes qui fonctionnent plutôt bien. En général, on compose les chansons ensemble, mais elles partent toujours d’une idée brute apportée par l’un ou l’autre : ça peut être une mélodie, des paroles, ou même un rythme ou un son de synthé. L’essentiel pour nous, c’est de ne pas de coller à une étiquette de travail prédéfinie, mais plutôt d’arriver à ressentir au plus profond de nous-même lorsqu’une idée est vraiment inspirée, sincère. Très souvent, on essaie des choses, on lance des pistes, mais on essaie vraiment d’être objectif et à l’écoute de ça donc on finit vite par se dire : « non, c’est pas vraiment sincère, faut qu’on fasse mieux ». Et alors on attend la vraie émotion, le vrai feeling, les petites choses du quotidien qui nous touchent.

Récemment, on a aussi passé une semaine en Italie pour faire une masterclass avec un ingé-son américain, Ronan Chris Murphy. C’est un événement qui a changé nos vies, car il nous a vraiment transmis sa passion pour le son, et il était excellent pédagogue. Ça nous a permis de mettre plus de théorie derrière nos connaissances apprises un peu sur le tas, et on s’est rendu compte à quel point le travail sonique des arrangements peut être une porte d’entrée pour nous dans la musique.

Avez vous deux façons d’appréhender la musique différentes (voire opposées). En quoi êtes vous complémentaires? 

Jules : je pense que globalement, notre manière de voir et de ressentir la musique est assez similaire. Pour nous c’est un langage en soi, qui parle directement au cœur des gens quand ils savent écouter. Mais bien sûr en pratique, on a chacun nos manières d’y entrer, et de la travailler.

Étant français et en ayant grandi avec beaucoup de musique anglo-saxonne, je dirais que pour moi j’ai développé des liens très fort avec les mélodies en général. C’est seulement dans un second temps de ma vie que j’ai pris conscience de l’importance des paroles comme porte d’entrée. Aujourd’hui, je redécouvre des classiques comme The National ou Interpol en me rendant compte de la puissance de leurs paroles (alors qu’en plus à l’époque j’adorais déjà les mélodies). Donc j’écris souvent en commençant par des sons, des mélodies, et je leur greffe des mélodies. Pour Erica, qui chante dans sa langue natale, évidemment le poids des mots est bien plus important. Du coup, avec le temps je lui laisse écrire la plupart des paroles et de renforcer ma spécialité sur les arrangements et la musique, car ça fonctionne bien : elle a vraiment des choses à dire, elle n’a pas eu une vie toujours facile, et du coup c’est sincère, il faut chérir ça.
Sinon d’un point de vue de la complémentarité il y a autre chose : Erica a une meilleure tendance à prendre du recul, à écouter les morceaux dans leur globalité sans rentrer trop dans le détail, alors que moi je me focalise plus sur tous les petits détails, la raffinerie des sons, ça fonctionne bien mais parfois je perds le fil et je me retrouve le nez dans le guidon. Et ça, c’est vraiment bien comme échange.

L’identité musicale de Grand Bain oscille entre électro dreamy/indie pop/rock. Ces étiquettes vous conviennent elles? 

Est ce que cela est susceptible d’évoluer?

Erica : c’est vrai, et ce qui est marrant, c’est que plus le temps passe, plus ces deux styles se « radicalisent ». Vu qu’on a commencé à enregistrer les chansons en studio avant de les jouer en live, il y a un feeling moins « rock » sur les enregistrements, ça partait de boucles, de sons de synthé, et de mélodies qu’on pouvait contrôler complètement dans le cadre d’un studio. Mais plus on joue de concerts, plus on se rend compte qu’on a une énergie, et une intensité qui va plus loin que le point de départ des enregistrements. Et du coup tout se radicalise : le rock devient plus rock, le dreamy devient plus dreamy. C’est bien d’une certaine façon, c’est plus tranché.

Et bien sûr, c’est appelé à évoluer, surtout qu’on va ajouter un batteur à notre line-up. C’est Jules qui enregistre les batteries sur les chansons en général, car les parties viennent directement de nous, de nos mains, de notre tête. En ajoutant quelqu’un d’autre à la batterie, on va chercher à retrouver cette intensité scénique et à rendre ça encore plus évident pour le public. Ca devrait être plus rock, plus spontané…

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Si Grand Bain était…

Un pays?

« No Country »

Un animal? 

‘A snow leopard’

Une couleur? 

Bleu-vert

Une oeuvre d’art?

Twin Peaks, de David Lynch ?

Une odeur?

Le sel de la mer

Une texture?

L’eau !

Une saveur?

Quelque chose avec du concombre, du wasabi, acide

Une piscine? 

Une qu’on n’a pas encore découverte !

 

grandbainmusic.com

Grand Bain sera en concert le 9 octobre 2015 au Bus Palladium à Paris

 

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Photos : Mathieu Baumer

Make-Up: Axelle Dersin